Histoire secrète d’Isabelle de Bavière, reine de France

C’est en 1764 que le Marquis de Sade découvrit à Dijon, au couvent des Chartreux, les antiques parchemins qui devaient lui permettre, cinquante années plus tard, de répandre une lumière nouvelle sur le rôle d’agent suprême tenu par Isabelle de Bavière dans les événements sanglants de son époque. Il faut dire que cette reine, préfiguration de « Juliette » et de « Lady Clairwill », réunissait dans sa personne toutes les conditions propres à exalter l’imagination du jeune Marquis : elle était belle, elle régnait, la cruauté faisait ses délices et le nombre de ses amants égalait celui de ses crimes.

« Le crime se trompe quelquefois dans ses calculs et ce qu’on croit obtenir de lui n’est bien souvent que des remords. Puisse cette vérité se graver dans l’âme de tous les méchants qui veulent le commettre, oui, puisse-t-elle s’y imprimer à jamais autant pour leur propre repos que pour celui de leurs malheureuses victimes. »

Je ne sais plus si j’ai déjà eu l’occasion de le mentionner en ces pages interlopes, mais je suis très fan de l’œuvre du Marquis de Sade. Aussi, dès qu’un titre ne figurant pas déjà dans l’édition de ses Œuvres en trois tomes à la Pléiade m’apparaît sous le nez, je me jette logiquement dessus. C’est comme ça que j’ai fait l’acquisition et la lecture, notamment, de « La Marquise de Gange » et des « Crimes de l’amour ». Aussi, quand j’ai découvert par hasard l’existence de cette étrange Histoire secrète d’Isabelle de Bavière reine de France, étonnement publiée dans l’excellente collection « L’Imaginaire » de Gallimard (ce qui en dit long, en même temps), ça n’a pas fait un pli : je me suis empressé de l’acheter et de la lire.

Un article de Nébal.

Étrange ouvrage, oui, où Sade se fait historien, et non romancier (encore que l’on puisse à bon droit se poser la question). S’il se fonde, du moins à ce qu’en prétend l’auteur, sur des recherches effectuées avant la Révolution, avant que Sade ne se lance véritablement en littérature, et accessoirement avant les scandales qui lui ont valu bien des misères, ça n’en est pas moins le dernier livre écrit par le Divin Marquis, publié une fois n’est pas coutume à titre posthume, mais dont il avait achevé les révisions peu avant sa mort, espérant bien le faire paraître malgré son internement à Charenton. Ce qui explique sans doute pas mal de choses que l’on pourrait autrement trouver passablement déconcertantes : on est bien loin, ici, de la virulence sauvagement réjouissante de ses œuvres « ésotériques » ; livre « pour tous », « l’Histoire secrète d’Isabelle de Bavière reine de France », si elle a pour héroïne une femme immorale et criminelle annonçant la fictive « Juliette », n’en est pas moins une œuvre « morale », où Sade ne cesse de blâmer le crime et de faire l’éloge de la vertu (on est bien loin des dissertations philosophiques des libertins de ses romans plus célèbres !), allant même – un comble pour ce matérialiste forcené – jusqu’à en appeler à Dieu, au ciel et à la providence ! Autant dire que c’est du Sade sans en être tout à fait. Ce qui, sans doute, en réservera la lecture en priorité aux exégètes et aux collectionneurs.

Il s’agit donc d’une biographie d’Isabelle (ou Isabeau) de Bavière, sans doute une des reines de France à la plus mauvaise réputation, ce qui suffit amplement à en faire un personnage sadien. Mais là où le Divin Marquis, dans d’autres de ses ouvrages, en aurait fait un modèle, voire une incarnation de la « vertu » au sens machiavélien, il en réalise ici un portrait à charge, certes non exempt de fascination, et probablement plus qu’à son tour hypocrite, mais le constat n’en est pas moins certain : cette « Juliette » royale, Sade n’aura de cesse de la condamner.

Euphémisme ! En se fondant sur des sources « malencontreusement détruites » (…) par les « Ostrogoths » révolutionnaires, et notamment l’interrogatoire de son favori Bois-Bourdon, Sade dresse bel et bien une « histoire secrète » de la reine : comprendre que, en bon paranoïaque, il la rend responsable de tout et n’importe quoi, mais avant tout du pire. Reine criminelle par excellence, Isabelle de Bavière, l’épouse du pauvre Charles VI, est de tous les complots, et semble avoir pour unique but l’abaissement de son royal époux et de la France : il s’agit de régner, certes pas innocemment, mais effectivement ; aussi l’Isabelle de Bavière de Sade est-elle encore plus détestable que ce que l’on a déjà l’habitude d’en dire. Aux yeux de l’auteur, elle est responsable de tout, absolument tout, et de la pire des manières. L’adultère et l’inceste ne sont certainement pas ses traits les plus critiquables, quand bien même Sade s’étend complaisamment sur la question (chassez le naturel…). La folie « intermittente » de Charles ? C’est elle. La mort du duc d’Orléans, son amant ? C’est elle. La mort de ses enfants, le futur Charles VII excepté ? C’est elle, et elle n’a pas manqué d’essayer d’abattre ce dernier, qu’elle exécrait plus que tout. La « guerre civile » opposant les Armagnacs aux Bourguignons ? C’est elle. La France livrée aux rois d’Angleterre ? C’est elle. Jeanne d’Arc blessée puis brûlée vive ? C’est elle… Ad nauseam.

Marquis de Sade - Histoire secrète d’Isabelle de Bavière, reine de France

Il y a sans doute bien du vrai dans ce qu’écrit Sade, qui livre une chronique richement documentée d’une des plus sombres périodes de l’histoire de France. Mais à charger ainsi son « héroïne » d’absolument tout ce qui s’est fait d’odieux sous le règne du roi fou (meurtre du duc de Bourgogne excepté, bien sûr), l’historien dépasse sans doute la mesure, et, encore le naturel qui revient, c’est plus qu’à son tour le romancier qui s’exprime. Il dresse un portrait tellement odieux de la sinistre reine qu’il en tombe parfois dans le ridicule, à vrai dire (les passages sur Jeanne d’Arc, notamment, sont « un peu » forts). Et, quand on connaît le reste de l’œuvre de l’auteur, on ne peut s’empêcher de sourire à ses sévères récriminations, ses sursauts d’indignation, pire, les sentiments religieux dont il fait ici « preuve » (tout en matraquant régulièrement le clergé, faut quand même pas pousser mémé dans les ort… si, en fait, il le faut, mouhahaha).

Un livre étrange, donc. Et, avouons-le, on est ici loin du meilleur Sade, jusque dans le style, certes savoureux et élégant dans l’ensemble, mais aussi perclus de répétitions et de tics lassants, a fortiori dans la condamnation, qui sonne souvent faux. Aussi en réservera-t-on la lecture aux admirateurs les plus acharnés du Divin Marquis, qui y verront au moins une curiosité, ce qui pourra suffire à les contenter. Pour ma part, si je ne regrette certes pas ma lecture, et si cette chronique des pages les plus noires de la « guerre de Cent Ans » m’a bel et bien intéressé, je n’en ferais certainement pas une lecture véritablement recommandable, et sûrement pas représentative de l’œuvre du Divin Marquis dans ce qu’elle a de plus scandaleux et, par là même, de génial. Une curiosité, oui… Mais Sade, c’est comme ses personnages : c’est quand il est odieux qu’on l’aime.

Le calendrier est bien fait, nous sommes aujourd’hui le 22 février : bonnes fêtes à toutes les Isabelle !

Détails sur le produit :

« Histoire secrète d’Isabelle de Bavière, reine de France » du Marquis de Sade est disponible à l’achat sur l’échoppe du site.

Poche: 350 pages
Editeur : Gallimard (25 septembre 1992)
Collection : L’Imaginaire
Langue : Français
ISBN-10: 2070727173
ISBN-13: 978-2070727179

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Sources : L’article de Nébal sur son blog / Photo tirée de la vente de la bibliothèque Pierre Bergé – Anonyme

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