Tombe la neige…

18 janvier 1849, Antoine Auguste de Sade est à Vallery dans l’Yonne, ses yeux le trahissent, il a la mine sombre : la nuit dernière et celle d’avant, il a très mal dormi. Malgré le froid glacial, le voilà dehors, il a décidé de marcher un peu le long de l’Orvanne, la rivière coulant dans le village. Il se dit qu’un peu d’exercice lui fera le plus grand bien.

Sortant du château en direction du Sud vers l’étang situé un peu plus bas, il aperçoit au loin le maire du village. Ce brave homme est charmant, il comprend tout à fait sa démarche mais n’a pas le cœur à discuter. Il lève alors le bras, l’agite pour saluer l’édile, et tourne à gauche avant de s’engouffrer à droite dans la rue s’ouvrant à lui…

Arrivé sur la place en contrebas, il constate que beaucoup de monde se trouve aujourd’hui à cet endroit. Que font-ils tous là ? Nous sommes jeudi, il n’a pas souvenir que ce soit un jour de marché. Ce n’est pas une bonne idée de vouloir traverser le village dans son état, il fuit les gens et le voici dans la foule ! Les badauds ne l’ont pas vu, il est encore temps de faire demi-tour… une promenade en forêt serait nettement mieux.

Marquis de Sade — Tombe la neige...

Le voici prenant le chemin du Nord, celui qui va vers l’église Saint-Thomas de Cantorbéry ; à proximité il sait trouver une entrée discrète le menant au cœur du parc attenant à leur propriété. Après quelques minutes, l’édifice religieux se trouve à sa gauche, son chœur faisant face vers l’Est à l’imposant pigeonnier du château. Il fait vraiment froid, il est encore temps d’aller s’asseoir dans un fauteuil et profiter de la chaleur d’un feu, qu’il devine allumé en voyant une fumée sortir d’une cheminée.

Que fait-il ici, pourquoi là ? Pas plus que tout à l’heure au milieu des gens, il n’a envie d’errer sur le perron de la Maison de Dieu. Il y viendra suffisamment rapidement, inutile d’ajouter à sa douleur… mais trop tard, le gardien du cimetière l’a vu et se dirige vers lui. Commence un dialogue surréaliste, où il est question de creuser un trou par ce temps glacial et de gibier gelé ; mais que vient faire son père dans l’affaire ? Pourquoi veut-il lui demander son avis alors qu’il est mort depuis des années ? Il s’en fiche, qu’il creuse où il veut, à côté, à l’autre bout du cimetière, qu’il fasse à son bon vouloir mais qu’on le laisse tranquille… il n’a qu’à faire comme pour son grand-père, un illuminé qui voulait être enterré sous un gland ; une grande idée ça !

Il s’était dit qu’un peu d’exercice lui ferait du bien, qu’une promenade à l’air libre serait idéale pour se changer les idées, bien mal lui en a pris. A cet instant, un bon whisky écossais conviendrait mieux et remplirait parfaitement sa fonction d’anti-dépresseur. Ça tombe bien, il se souvient que sa mère lui a dit avoir réceptionné une caisse en provenance d’une distillerie au nom imprononçable mais qu’elle affectionnait tant, un whisky distillé sur l’île d’Islay, un whisky iodé.

Il faut qu’il rentre, il se torture la tête pour rien. Quoi qu’il décide, où qu’il aille, toutes ses pensées le ramènent vers sa mère : Louise Gabrielle Laure de Sade d’Eyguières. Une magnifique femme qui a décidé de se marier en 1808 avec son propre cousin : Donatien Claude Armand de Sade, le second fils d’un horrible personnage, tortionnaire de dame et qui conchiait les hosties lui a-t-on dit. Elle n’est pas belle la vie, deux branches, éloignés de quelques 300 ans, décidant de se réunir par amour sous la bénédiction d’un ogre…

Voilà qu’il neige, bravo, il ne manquait plus que ça ! La semaine dernière encore, sa mère disait avoir rêvé de son mari lui disant qu’il réchauffait la place depuis déjà deux ans et qu’il s’impatientait, que l’endroit était coquet, pas très aéré mais que les voisins étaient calmes. Le souhait du vieux est exaucé, il va être content, sa femme est morte hier à trois heure et demie du matin, âgée d’à peine soixante-seize ans et sept mois. Elle qui rêvait de Soleil toute l’année la voilà prête à rejoindre son mari dans une tombe gelée… ça vaut swinguer chez les locataires du dessous !

Sources : Photo – Site internet du Château de Vallery

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