L’Ange de l’Ombre

Nous sommes le 3 juin, le Comte de Maillé, grand-père et parrain de l’enfant, est représenté par un officier de maison ; l’accompagnent, trois autres personnels de la Maison de Condé. Lundi dernier, au début du mois, le gel était là, il fait donc encore très froid, le groupe reste donc prudent quant à leur progression dans les rues de Paris… il serait bête de faire tomber le fils aîné de cet illustre personnage qui habite la demeure de leur maître.

Les voici sortant rue de Condé par la porte principale de l’hôtel particulier situé là. Ils la redescendent sur quelques mètres avant de prendre à gauche et de filer tout droit en direction de la rue des aveugles. Le trajet n’est pas très long mais suffisamment pour faire éternuer l’enfant, les anciens répètent d’ailleurs sans cesse à longueur de temps que cette année sera la plus froide qu’ils aient connu, et Dieu sait qu’ils sont anciens !

En cet fin de printemps glacial, les quatre officiers de maison déboulent enfin sur la place où se dresse l’église où ils doivent faire baptiser le poupon qu’ils tiennent entre leur bras. Comment se prénomme-t-il déjà ? Alphonse, je crois ! Non, c’est Louis, je te dis ! Donatien, c’est sûr… mais les autres prénoms, il y avait François, il me semble ? Donatien-Alphonse-François, voilà, c’est çà ! Comment peut-on oublier, en quelques centaines de mètres, deux prénoms sur trois ? J’en connais qui ont dû recevoir plusieurs coups de férule en rentrant de leur mission…

A l’intérieur de l’église, le curé, un certain Jean-Baptiste Languet de Gergy, est affairé à suivre avec attention le chemin tracé par un rayon du Soleil passant au travers d’un trou percé sur le côté du vitrail sud du transept. Il leur dit que cela lui permet de pouvoir calculer avec précision les équinoxes, les solstices, la hauteur et donc la durée de course du Soleil… par conséquent, il est donc capable de dire l’heure qu’il est. Non content d’étaler sa science, il ajoute que ce sont les Cassini qui, à sa demande, ont construit ce gnomon ; oui, il appelle ça comme ça, le « Gnomon de Saint-Sulpice » un nom barbare signifiant « moyen de savoir » et « Saint-Sulpice » du nom de l’église de sa paroisse… celle où se trouve nos quatre officiers.

Un curé scientifique pour baptiser le futur Marquis de Sade, voilà qui aurait plu au célèbre écrivain. Voyant l’enfant, il redirige le groupe vers la chapelle des fonts baptismaux, située au pied de la tour Nord, près de l’entrée de l’église. Arrivé là-bas, il leur décrit l’endroit tel qu’il l’a vu dans un rêve : orné d’un haut-relief du Baptême du Christ et de quatre allégories : celle de la Sagesse, de la Grâce, de la Force et de l’Innocence. C’est donc sous l’égide de ses quatre gardes du corps et sous les auspices d’un curé devin que le Divin Marquis reçut la bénédiction de Celui d’en haut.

Marquis de Sade - L'Ange de l'Ombre

En dehors de la performance des Cassini et du souvenir des ablutions du Marquis en 1740, il existe une réalité, plus romantique que scientifique, qui pousserait les gens à venir visiter Saint-Sulpice : pour les petits curieux qui voudraient bien aller promener leurs jambes là-bas, sachez que c’est aussi dans cette église que fut marié Victor-Hugo et que c’est également dans celle-ci que fut baptisé Baudelaire.

Et, aujourd’hui plus qu’un autre jour, c’est dans cette église que seront commémorés les mânes de Gonzagues Saint Bris. Une messe sera effectivement dite à 10h00 à l’église Saint-Sulpice en souvenir de l’auteur.

Pour rappel, l’historien et écrivain Gonzague Saint Bris a trouvé la mort sur une route de Normandie, dans la nuit du 7 au 8 août de cette année, en tentant d’éviter un animal. Fils de diplomate et petit-fils d’un couple de résistants morts en déportation, Gonzague Saint Bris avait écrit une cinquantaine de livres. Passionné d’histoire, il était notamment l’auteur d’une biographie sur le Marquis de Sade, publiée à l’occasion du bicentenaire de la mort du Divin Marquis en 2014.

Saint Bris commémoré là où Sade fut baptisé ou, si l’on préfère, Sade béni là où Saint Bris est célébré, à coup sûr les deux oiseaux auraient applaudi !

Sources : Photo – Ouest-France

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