10 – Les châteaux de la subversion

« Allié par ma mère, à tout ce que le royaume avait de plus grand ; tenant, par mon père, à tout ce que la province de Languedoc pouvait avoir de plus distingué ; né à Paris dans le sein du luxe et de l’abondance, je crus, dès que je pus raisonner, que la nature et la fortune se réunissaient pour me combler de leurs dons ; je le crus, parce qu’on avait la sottise de me le dire, et ce préjugé ridicule me rendit hautain, despote et colère ; il semblait que tout dût me céder, que l’univers entier dût flatter mes caprices, et qu’il n’appartenait qu’à moi seul et d’en former et de les satisfaire. »

Cette citation de Sade tirée de son roman « Aline et Valcour » est la parfaite introduction pour la série estivale de cette année. Effectivement, cet été j’ai décidé de vous parler — du moins de vous présenter — les principaux châteaux où vécut le Marquis de Sade.

De sa naissance à sa mort, Sade traversa le pays. Du Sud au Nord en passant par la Bourgogne, Sade circula dans le royaume. Parfois dans le confort certain du luxe de ses châteaux. D’autres fois dans l’inconfort que pouvaient être les prisons de cette époque. Mais à chaque fois, ces étapes marquèrent sa vie au point de le hanter ou de les faire rejaillir dans ses histoires.

Dixième et dernière étape d’un feuilleton que j’ai nommé « les châteaux de la subversion » en clin d’œil au livre d’Annie Lebrun : le Château de Condé-en-Brie.

Le sujet étant vaste, j’ai décidé cette année de faire déborder la série sur le mois de septembre pour aborder une ultime étape qui, même si elle ne traite pas d’un château ou d’une prison fréquenté par le Marquis de Sade, reste un lieu important pour l’histoire de la famille du même nom.

Si j’ai commencé par l’Hôtel de Condé au début du mois de juillet et si je choisis de finir maintenant par un Château ayant également appartenu aux Princes de Condé, c’est pour montrer toute l’importance qu’a pu avoir cette illustre famille sur le positionnement social des Sade… de Condé à Condé grâce aux Condé, la boucle est bouclée.

Marquis de Sade - 10 – Les châteaux de la subversion

Pour refaire rapidement l’histoire, disons qu’à l’ origine le Château de Condé n’était sans doute qu’une belle « ferme » gallo-romaine, construite idéalement dans la plaine fertile sur les bords du confluent de la Dhuys et du Surmelin affluent de la Marne qui donnera par la suite son nom au village de Condé-en-Brie… le toponyme d’origine gauloise signifiant étymologiquement « confluent ».

Au XIIème siècle, Jean de Montmirail devint le premier seigneur de Condé qui était alors un fief noble ayant haute et basse justice avec autorisation de fourches patibulaires. Son gendre, Enguerrand III de Coucy agrandit le château avec un donjon, des meurtrières et des murs de deux mètres d’épaisseur, des souterrains communiquant avec le village qui, lui aussi, fut fortifié. Au XVème siècle, l’héritière de la seigneurie, Marie de Luxembourg épouse François de Bourbon-Vendôme. C’est elle qui fit très largement agrandir l’église et construire les halles. Afin d’assurer le développement économique du village, elle obtient de son neveu, le roi François Ier, le droit d’interdire la tenue de marchés plusieurs lieues à la ronde. Son fils, seul survivant des guerres de François Ier, le cardinal de Bourbon-Vendôme, achève de transformer Condé en un grand château Renaissance, qui deviendra celui du premier des Princes de Condé. Par la suite, jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, le château de Condé verra se succéder, par le jeu des alliances, les familles de la Tour du Pin, de Bimard et la branche d’Eyguières des Sade.

Durant la Révolution, l’intendant du Château, Pierre Villacroze sera élu maire du village. Il renomma alors Condé-en-Brie en « Vallon libre » en raison des Princes de Condé dont le souvenir irritait les sans-culottes, le Château, lui, ne subit aucun dégât mise à part quelques fleurs de Lys martelées pour la forme. Ce miracle s’explique par le fait que les droits féodaux et la dîme pratiquée à Condé-en-Brie étaient faibles — 6% des revenus au lieu de 17% dans d’autres régions — et par de bonnes relations entre le village et le château depuis le XIIème siècle.

Marquis de Sade — 10 – Les châteaux de la subversion

Patron des missions, Saint François-Xavier naquit d’une grande famille espagnol en 1506. Ordonné prêtre en 1537, il fut envoyé en Orient quatre ans plus tard afin d’évangéliser l’Inde et le Japon. Il allait pénétrer en Chine quand il mourut en 1552 sur l’île de Sancian, au large de Canton. Mais ce n’est pas de lui que je voulais vous parler, mais plutôt de François-Xavier Joseph David de Sade.

Né le 25 mars 1777, à Eyguières, et mort le 24 mai 1846, à Paris, François-Xavier Joseph David de Sade d’Eyguières est un homme politique français. Fils d’un savant numismate qui fut élu député aux états généraux de 1789, mais dont l’élection fut invalidée, il appartient à une branche parallèle de celle de la famille du Marquis de Sade. Donatien est donc son très lointain cousin : il faut remonter à l’époque de Girard de Sade — marié en 1428 et mort en 1483 — pour avoir un ancêtre commun. De l’eau a coulé sous les ponts, les familles bien qu’ayant le même nom, ont plus de 350 ans d’écarts. C’est donc sans surprise que la propre sœur de François-Xavier, Louise Gabriel Laure de Sade d’Eyguières, se marie à la fin de l’été 1808 au Château de Condé-en-Brie, dans l’Aisne, avec Donatien Claude-Armand de Sade, l’un des fils du Divin Marquis. Alors que son beau-père — qui ne mettra jamais les pieds là-bas — est enfermé depuis longtemps à Charenton, le mariage a donc lieu en toute intimité dans la petite chapelle du château qui appartient à cette date à la cousine de sa mère… de cette union découlent les Sade actuels.

Mais revenons à François-Xavier. Sa famille ayant émigré en avril 1789, le jeune Sade achève ses études à Londres. Il entre ensuite au service de l’Angleterre, collabore à « l’Ambigu » — journal rédigé à Londres par Jean-Gabriel Peltier — puis revint en France en 1812. Conseiller général de l’Aisne depuis 1816, il publie en 1822 les « Réflexions sur les moyens propres à consolider l’ordre constitutionnel en France ». Élu, le 24 novembre 1827, comme candidat constitutionnel, député du grand collège de l’Aisne, il se déclare pour la liberté de l’enseignement. Rapporteur de plusieurs commissions, il est également membre de celle qui rédigea « l’Adresse des 221 », qu’il vota. Réélu, le 3 juillet 1830, il se rallie à la monarchie de Louis-Philippe, tout en opinant souvent avec l’opposition dynastique.

En décembre 1834, François-Xavier fait partie des fondateurs de la Société française pour l’abolition de l’esclavage. Quatre ans plus tard, à la mort de sa mère — Marie Françoise Émilie de Bimard — il hérite du château de Condé-en-Brie qu’il transmettra à Claude Armand, second fils du Marquis. le château restera dans leur famille jusqu’en 1983… date à laquelle un autre Xavier de Sade le revend pour partir s’installer avec sa famille en Touraine.

Ce Xavier, très connu du public pour avoir contribué à la réhabilitation de son aïeul, est le père du Marquis de Sade actuel, Elzéar. En 1972, Xavier, habitant encore à Condé-en-Brie, est l’invité de Denis Cazal dans le cadre du journal de 13h00. Durant cette interview, Xavier explique au journaliste ce qu’est l’affaire de Marseille, accuse Madame de Montreuil d’avoir causé des ennuis au Marquis, montre comment celui-ci pouvait être un homme bon et généreux. Xavier récuse ensuite les dérivés du nom de « Sade » qui n’ont aucune raison d’être, nuisant à toute une famille… et ajoute qu’en examinant la vie actuelle, le Marquis de Sade passerait pour un enfant de choeur ; laissant croire que rien n’empêcherait la réhabilitation de son ancêtre. Je vous laisse l’écouter !

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Sources : Photo – Anonyme / Fiche de François-Xavier de Sade sur le site de l’Assemblée Nationale / Interview de Xavier de Sade sur le site de l’INA / Photo – Salle Servandoni du Château de Condé-en-Brie – Patrick

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