8 – Les châteaux de la subversion

« Allié par ma mère, à tout ce que le royaume avait de plus grand ; tenant, par mon père, à tout ce que la province de Languedoc pouvait avoir de plus distingué ; né à Paris dans le sein du luxe et de l’abondance, je crus, dès que je pus raisonner, que la nature et la fortune se réunissaient pour me combler de leurs dons ; je le crus, parce qu’on avait la sottise de me le dire, et ce préjugé ridicule me rendit hautain, despote et colère ; il semblait que tout dût me céder, que l’univers entier dût flatter mes caprices, et qu’il n’appartenait qu’à moi seul et d’en former et de les satisfaire. »

Cette citation de Sade tirée de son roman « Aline et Valcour » est la parfaite introduction pour la série estivale de cette année. Effectivement, cet été j’ai décidé de vous parler — du moins de vous présenter — les principaux châteaux où vécut le Marquis de Sade.

De sa naissance à sa mort, Sade traversa le pays. Du Sud au Nord en passant par la Bourgogne, Sade circula dans le royaume. Parfois dans le confort certain du luxe de ses châteaux. D’autres fois dans l’inconfort que pouvaient être les prisons de cette époque. Mais à chaque fois, ces étapes marquèrent sa vie au point de le hanter ou de les faire rejaillir dans ses histoires.

Huitième étape d’un feuilleton que j’ai nommé « les châteaux de la subversion » en clin d’œil au livre d’Annie Lebrun : le Fort de Miolans.

Marquis de Sade - 8 – Les châteaux de la subversion

Le 3 septembre 1772, le tribunal de Marseille condamne le Marquis de Sade pour crime d’empoisonnement… il devra avoir la tête tranchée et son valet, condamné pour sodomie, pendu  !

Fuyant le pays, il se réfugie dans la Savoie toute proche qui est la propriété du roi de Sardaigne. Ce fut également à ce moment que la belle-mère de Sade intervint pour mettre son gendre en lieu sûr afin d’éviter un scandale certain. 3 mois plus tard, au soir du 8 décembre 1772, le gouverneur de la Savoie fait connaître au commandant du fort de Miolans qu’il vient d’arrêter le Comte de Sade « sous le nom de Comte de Mazan ».

Bon prisonnier, Sade jure sur l’honneur de ne pas chercher à s’évader et promet « d’exécuter tous les ordres qui me seront intimés de la part de M. le commandant ».

Peu à peu, la vie s’organise : un tapissier de Chambéry donne à la chambre de Sade une allure acceptable pour un homme de sa condition ; il peut aussi se promener à son gré dans l’enceinte du donjon du château avec la seule précaution d’avoir toujours auprès de lui quelqu’un pour le surveiller ; mais le Marquis ne peut écrire ni recevoir aucune lettre que le gouverneur n’ait auparavant lue et cachetée lui-même.

Marquis de Sade - 8 – Les châteaux de la subversion

Le Marquis a maintenant trente-deux ans, ce n’est plus le jeune officier qui hantait les coulisses des théâtres parisiens, il a terriblement forci et ses tempes se dégarnissent ; la captivité lui pèse et son humeur s’en ressent. Le commandant de la forteresse écrit, le 1er janvier 1773 : « Ce seigneur est très dangereux, ayant autant d’esprit que de vivacité et d’inconstance ; il n’y a rien à compter sur une tête aussi volage… c’est un esprit fort, sans religion, sans mœurs et prêt à se porter à toutes sortes d’extrémités. »

Sa belle-mère veille et adresse ses instructions au gouverneur : « Je vous prie de vouloir bien donner des ordres pour que ce gentilhomme soit traité avec quelques égards et qu’il lui soit procuré tout le bien-être possible en tout ce qui ne pourra porter le moindre préjudice à la sûreté de sa personne, ni faciliter son évasion s’il voulait la tenter. »

Il obtint ainsi le libre usage de la cantine, ce qui lui permit d’organiser à Miolans une vie de relation, car le plaisir de Sade, c’est la conversation… surtout avec son codétenu le Baron de l’Allée de Songy et le Sieur Ducloz, lieutenant des portes à Miolans, avec qui il se lia, non sans arrière-pensées.

Marquis de Sade - 8 – Les châteaux de la subversion

Inlassable, la femme du Marquis s’attache à veiller au sort du captif. Elle crible le gouverneur de lettres : « J’apprends avec surprise que vous manquez aux égards et aux attentions qui sont dus à mon mari à toutes sortes de titres… J’espère que vous trouverez bon que je le fasse promptement sortir de dessous vos ordres et que ma famille et moi rendions compte à votre ambassadeur de vos procédés. »

L’ambassadeur apprécie mal cette démarche et fait savoir au gouverneur : « si besoin est, que le régime du Marquis soit resserré, que toute communication au-dehors lui soit interdite, aussi bien que tout commerce de lettres ». Il est vrai que M. de Launay n’a eu aucune peine à justifier sa vigilance à l’égard de Sade : celui-ci ayant tenté de jouer de l’argent qu’il ne possédait pas.

La Marquise ne se tient pas pour battue. La voici, habillée en homme, sur la route de la Savoie, avec l’intention bien arrêtée de faire évader son mari : « Mon devoir m’en imposait la loi et mon cœur la nécessité. » Ce projet, connu de l’ambassadeur de Sardaigne à Paris, amène une réaction immédiate de sa part, il ordonne au gouverneur de Miolans : « Je vous prie instamment de vouloir bien empêcher que tout accès soit ouvert à cette dame auprès de ce prisonnier, attendu qu’il ne pourrait y avoir que des suites fâcheuses et de vouloir bien donner des ordres en conséquence. »

Renée fait demi-tour, mais ne renonce pas pour autant. C’est au Roi de Sardaigne qu’elle s’adresse cette fois : « Sire, mon mari n’est point confondu dans le nombre de ces scélérats dont il importe de purger l’univers. Une imagination trop vive a produit une sorte de délit. La prévention l’a érigée en crime. La justice a fait gronder ses foudres. Et pourquoi ? Pour un emportement de jeunesse qui n’a attaqué ni la vie, ni l’honneur, ni la réputation des citoyens… Je supplie Votre Majesté de vouloir bien accorder à mon mari sa liberté ainsi que la permission de rester dans vos États. »

Marquis de Sade - 8 – Les châteaux de la subversion

En proie à la surveillance tatillonne du gouverneur, Sade songe finalement à s’évader. Cette évasion sera d’une banalité extrême : l’appartement de Ducloz disposant d’une fenêtre sans grillage à quelques mètres du sol ce dernier en cédera l’usage à la cantinière qui, désormais, servira le Marquis et ses invités dans une des chambres de celui-ci.

Sade et ses comparses soupèrent vers sept heures et passèrent par cette fenêtre vers huit heures et demie. Au bout de quelques temps, le cuisinier demanda pour les desservir mais ne les trouva pas. Le veilleur de nuit, quant à lui regarda la fenêtre de M. de Sade en revenant de son souper, voyant de la lumière cru qu’il s’était retiré. Un moment après, il monta jusqu’à la chambre du Marquis qu’il trouva fermée. Regardant par le trou de la serrure, il vit encore de la lumière et présuma qu’ils jouaient tous ensemble aux dames ; ce qu’ils faisaient fort souvent. Il se jeta ensuite habillé sur le lit de la chambre voisine et s’endormit. Vers trois heures du matin, il se réveilla et retourna regarder par le trou de la serrure de la chambre : il y vit encore de la lumière et se douta de quelque chose. Il avertit le commandant du fort, qui trouvant la porte fermée, la fit enfoncer et n’y trouva personne… Sade est déjà loin, c’était le 30 avril 1773 !

Marquis de Sade - 8 – Les châteaux de la subversion

Bien en évidence sur sa table, le Marquis aura pris soin de laisser une lettre pour le maître des lieux : « Monsieur, si quelque chose peut troubler la joie que j’ai de m’affranchir de mes chaînes, c’est la crainte où je suis qu’on ne vous rende responsable de mon évasion… Il ne me reste plus qu’à vous remercier de toutes vos bontés. J’y serai toute ma vie sensible. Un jour viendra, j’espère, où il me sera permis de me livrer entièrement au sentiment de reconnaissance que vous m’avez inspiré. »

Sade expédie une autre missive, au gouverneur de la Savoie celle-là. Il lui parle surtout de Mme de Montreuil : « La cruauté outrée d’une belle-mère dont je ne dépends point, les mensonges, les entortillages, les tromperies dont on m’endort depuis si longtemps sont les seules causes de la périlleuse démarche que j’entreprends. Je suis confus de si peu mériter vos bontés, mais l’horreur de ma situation l’emporte : la violence de mon sang s’oppose à des châtiments de ce genre et j’aime mieux la mort que la perte de ma liberté. »

L’évasion de Sade fera deux victimes : le commandant de Launay qui sera mis aux arrêts et le gardien de nuit, Jacquet, qui sera emprisonné.

Autre victime également : Mme de Montreuil qui étouffe de colère quand elle apprend que son gendre a pris congé de ses hôtes.

Sources : Photo du château – Photec / 123 Savoie – L’évasion du Marquis de Sade à Miolans / Photos – 123 Savoie / Photos – Serialpictures.fr / Photos – Déyana

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