Fitz-James n’attend pas !

Sade eu trois enfants : Louis-Marie, Claude-Armand et Madeleine-Laure. Le premier et le dernier ne perpétuèrent pas le nom. Le deuxième, quant à lui, se maria avec sa cousine. De cette union naquirent cinq enfants : Renée, Laure-Emilie, Gabrielle-Pélagie, Alphonse-Ignace et Auguste-Marie. Si les trois premiers eurent chacun leur histoire, seuls les deux derniers nous intéressent vraiment. Alphonse-Ignace, car c’est de lui que perdure le nom des Sade aujourd’hui. Et Auguste-Marie, car père d’Odette, Valentine et Laure-Marie. Voilà pour la situation.

Née le 31 mai 1859, Laure-Marie, arrière-petite-fille du Marquis de Sade, épousa le 6 février 1879 le Comte Adhéaume de Chevigné ; elle n’avait pas 20 ans. Mondaine de nature, la Comtesse devint une figure des salons et de l’aristocratie parisienne de la fin du XIXe jusqu’au début de la première guerre mondiale. Elle mourut le 15 octobre 1936 à l’âge de 77 ans ; elle fut la grand-mère de Marie-Laure de Noailles.

Bien connue du monde de l’art, Marie-Laure était surtout célèbre pour avoir, avec son mari, mandaté Maurice Heine afin de racheter le manuscrit des « Cent Vingt Journées de Sodome » — de son illustre ancêtre — et lui demander d’en publier une édition plus « correcte » que celle de son précédent propriétaire. La suite, vous la connaissez : le manuscrit fut prêté, vendu et disparut dans un coffre en Suisse ; il ne fit son grand retour en France que récemment grâce à Gérard Lhéritier. Mais ne nous éloignons pas trop de l’histoire et revenons plutôt à Laure-Marie.

Marquis de Sade — Fitz-James n'attend pas !

Si Laure-Marie était belle, avec de grands yeux bleus et des cheveux blonds, elle était aussi extrêmement distinguée ; le compositeur Reynaldo Hahn aimait dire d’elle que « c’est une femme du XVIIIe siècle, chez qui le sentiment se mue bientôt en esprit ».

Liée à de nombreuses personnalités du gotha qui appréciaient son élégance et son esprit fin, Laure-Marie avait de nombreux amis et prétendants. A tel point que ceux-ci n’hésitaient pas à se cotiser pour lui offrir, à chaque début d’année, un nouveau rang de perles : « Mes colliers me permettent de compter mes amis et mes années », disait-elle.

Tout bascula lors d’une soirée de théâtre. Ce soir-là, un certain Monsieur tomba sous le charme de la Dame qui était venue assister à la pièce en robe de gaze blanche, avec un grand éventail à plume. Il essaya de l’approcher mais n’osa pas lui parler. Envoûté, il la compara alors à une déesse-oiseau, une sorte d’oiseau de paradis à la voix rauque car abusant des cigarettes. Plus tard, lors d’une promenade du côté de l’avenue Gabriel, il finit enfin par l’aborder. Hélas, Laure-Marie, trop pressée d’aller rejoindre un ami, remarqua à peine le jeune homme… pas question de perdre une seconde en s’attardant à bavarder avec cet insignifiant alors que Fitz-James l’attendait. A cet instant, Laure-Marie passa de paradisier au ramage génial et merveilleux à vieille pie hautaine et acariâtre !

Mais pour lui, le temps pressait, tant pis pour ce « râteau », son éditeur s’impatientait – Marcel est écrivain – hors de question de perdre son temps avec des histoires de fesses ; aimait-il les femmes d’ailleurs ? Par contre, il n’oubliera jamais cet affront, Laure-Marie participera à son chef-d’œuvre, il lui taillera un personnage à sa mesure et poussera le vice à lui envoyer un exemplaire quand celui-ci sortira des presses.

De cette chose, Laure-Marie ne sut que faire. Allant jusqu’à demander à son ami Jean Cocteau de lui noter les endroits où il parlait d’elle. A Marcel se plaignant que Laure-Marie n’ait pas lu son livre, Cocteau eut les mots suivant : « Fabre a écrit un livre sur les insectes, mais il n’a pas demandé aux insectes de le lire ! »

A partir de ce moment, Marcel travailla sans relâche à l’écriture des six livres suivants jusqu’au mois de novembre 1922, où il s’éteignit épuisé… emporté par une bronchite mal soignée. Avant sa mort, conscient que sa maladie finirait par l’emporter, il demanda à son frère Robert Proust de publier le reste de son œuvre à titre posthume.

Ce ne fut qu’en 1927 que le Temps fut vraiment retrouvé ; soit neuf ans avant la propre mort de Laure-Marie. Finit-elle par lire l’œuvre titanesque de Marcel Proust ? Comprit-elle, qu’Oriane, Duchesse de Guermantes, Reine du faubourg Saint-Germain, dont la beauté et l’élégance avait transporté le narrateur, comprit-elle qu’il s’agissait d’une partie d’elle-même ? Ce souvint-elle de ce jour funeste où la déesse-oiseau perdit ses plumes ?

De ces trois questions, Odette, sa sœur, a dû connaitre les réponses. A coup sûr, Laure-Marie a dû se confier à son aînée. Si nous étions un peu sorcier, un peu voyageur du temps ou même un peu copain avec les êtres du Monde d’en Haut nous pourrions aller sur place pour se renseigner à la source. Comme ce n’est pas le cas – je peux me tromper – il faudra se contenter d’essayer de parler à l’esprit d’Odette en faisant tourner les tables… une chance, car aujourd’hui est jour propice : nous sommes le 20 Avril, jour de la sainte Odette. A vos guéridons !

Sources : Photo : Laure-Marie de Sade – Federico de Madrazo

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