A la mi-Mars, le coucou est dans l’épinard

Nous sommes dimanche 29 février 1784, il est sept heure du soir, la porte s’ouvre, il prend ses affaires, il ne reviendra pas dans cet horrible endroit. Il aura fallu attendre une journée qui n’existe que tous les quatre ans pour qu’ils se décident à organiser ce périple ; il ne faudrait pas qu’il soit superstitieux, ni croiser d’animaux fabuleux en ce jour funeste. Dans son voyage fantastique, l’accompagne le Sieur Surbois ; inspecteur de police, le bonhomme à la charge d’exécuter un ordre du roi signé un mois plutôt.

Les deux hommes sortent du bâtiment et montent dans ce qui ressemble vaguement de loin à un véhicule de transfert pénitentiaire aux banquettes moelleuses et aux rideaux épais. Le trajet est long, chacun a droit à son petit confort, il serait bête d’arriver au bout de cette expédition avec un rhume et des escarres au cul…

Le temps dehors est épouvantable, il pleut, les rivières sont au plus hauts et prêtes à déborder. La Lune, à mi-parcours de sa course mensuelle, lance ses rayons sur la brume qui se lève. Des ombres angoissantes courent sur les maisons. Les sous-bois se transforment en antichambre des enfers, rassemblant toutes l’imagination des hommes… l’ambiance est donc plus à la lumière blafarde qu’à celle chaleureuse d’une soirée d’été.

Marquis de Sade — A la mi-Mars, le coucou est dans l’épinard

Après deux heures d’une transhumance les ayant menés du plateau forestier près de la Pissote à l’ancien fort Saint-Anthoine près de Paris, l’inspecteur sort en premier de la voiture, vérifie que tout va bien et demande à l’objet de sa mission de bien vouloir le suivre.

Devant eux, une grosse bâtisse donnant l’impression de toujours avoir été là. Lugubre, sépulcral, le lieu transpire le sinistre et procure un profond accablement à quiconque longe ses murs la nuit. La brume n’aidant pas, cet ancien châtelet ne semble être là que pour traumatiser les gens. Ce sera pourtant ici qu’il logera dorénavant… plus précisément, au deuxième étage d’une tour dite de la Liberté.

Son appartement est sombre mais donne vers l’Ouest, il se dit qu’il pourra alors profiter du Soleil couchant qu’il affectionne tant. L’endroit est certes un peu austère, mais avec quelques livres, deux ou trois meubles bien choisis et une décoration lui rappelant sa Provence adorée, ce coin tristounet n’y paraîtra plus.

Marquis de Sade — A la mi-Mars, le coucou est dans l’épinard

Quinze jours durant, progressivement, le futur père de « Justine » conçoit sa nouvelle tanière, là un fauteuil, là une bibliothèque, là une table, une plume et des bougies… c’est d’ailleurs aujourd’hui que doit passer sa femme pour lui apporter ce qu’il demande le plus : des bougies !

Il est quatre heure du soir quand celle-ci passe les contrôles de la prison. « Mme la marquise de Sade […] est restée jusqu’à sept [heures] avec le sieur marquis son mari, sur une permission de M. Lenoir [lieutenant général de Police], datée de ce jour, elle doit revenir le 27 ; elle lui a apporté six livres de bougie. » indique le rapport du garde.

Trois heures pour livrer des bougies ! Que firent-ils ? Une crapette, des gaufres, un colin-maillard ? La légende ne le dit pas… on imagine pourtant mal nos deux amis regarder « Questions pour un Champion », il y a donc de forte chance que ces retrouvailles ce soient transformées en aventures érotiques… tout du moins j’aime l’imaginer. Ce que l’on sait par contre, c’est que ce cinq à sept eut lieu à la Bastille le 16 mars, il y a tout juste 233 ans… la Marquise avait 43 printemps et le Marquis 44 !

Sources : Photo : forêt sinistre – anonyme / Photo : Bastille – Assassin’s Creed

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