La Passion selon Sade

Premier titre d’un catalogue comprenant dix-huit œuvres d’opéra ou de ballet, « La Passion selon Sade, mystère de chambre avec tableaux vivants de Sylvano Bussotti » représente probablement la pièce de Sylvano Bussotti la plus audacieuse, expérimentale et novatrice dans le domaine du théâtre musical. Il n’est pas anecdotique, et même plutôt historique, de noter que La Passion fut composée et créée au moment où en Europe, le théâtre d’avant-garde comme la musique expérimentale font leurs premiers pas hésitants vers la recherche d’une dramaturgie anti-mélodramatique appropriée aux nouveaux langages.

Un article de theatre-musique.com et du théâtre de Nîmes

Le livret – si on peut ainsi définir le texte de La Passion – est un montage, sensible à la musicalité du verbe, aux assonances et allitérations. Il puise aux livres de Sade et à un sonnet de Louise Labé. Ses phrases débutent presque systématiquement par la lettre « O », identifiant la protagoniste centrale de l’opéra, par le caractère double de Justine-Juliette, ces deux sœurs qui dans les romans du Marquis de Sade apparaissent comme symboles de la vertu – conduisant à une vie de peine -, et du vice – menant à une vie de joie. Dans l’écriture originale du compositeur toscan, « O » est aussi une abréviation du mot « Organe », ainsi qu’une référence explicite au roman sadomasochiste de Pauline Réage, « Histoire d’O ».

Marquis de Sade — La Passion selon Sade

Comme suggéré dans le sous-titre, la structure aléatoire de l’œuvre est organisée autour de pièces pivots, à savoir de la musique de chambre, en partie composées pour l’occasion et en partie tirées du propre catalogue instrumental du compositeur. Il serait [cependant] vain d’essayer de chercher dans les matériaux textuels et musicaux de La Passion quelque conclusion idéologique, éthique ou philosophique.

L’œuvre n’est pas seulement une performance d’objets théâtraux (textes, personnages, auteur, chef d’orchestre, musique, scène, lumières, couleurs, actions, images) qui interagiraient à différents niveaux dramatiques sans nécessairement communiquer entre eux ; c’est un véritable théâtre total, à l’esthétique raffinée et séduisante. Le compositeur et musicologue Armando Gentilucci écrivait au sujet de La Passion : « la nouveauté la plus frappante est l’ambivalence absolue qui existe entre acteurs et musiciens, conformément à un enchevêtrement d’actions passant continuellement de la fiction scénique des costumes à la technique de l’interprétation instrumentale jusqu’au happening pur et simple. »

Parmi les nombreuses curiosités de la partition – caractérisée par un graphisme extrêmement sophistiqué – remarquons la recommandation que seul l’auteur peut véritablement diriger La Passion, en tant que seul interprète capable de tisser le fil d’une écriture tellement aléatoire, dont des lignes peuvent emprunter toutes les directions, se recouper ou pas, et dont les hauteurs et les timbres doivent être précisément choisis.

Marquis de Sade — La Passion selon Sade

Comment remonter cette pièce mythique des années soixante, encore nimbée de son parfum de scandale, dont la création à Palerme en 1965, avec Cathy Berberian, avait alors propulsé Sylvano Bussotti sur le devant de la scène européenne ?

Près de cinquante ans après sa création nimbée de scandale, cette Passion reste une oeuvre à part, à redécouvrir pour sa forme expérimentale et la hardiesse de son livret. Inspiré de Justine et Histoire de Juliette de Sade, Antoine Gindt révèle une pièce mythique des années 1960, novatrice, déconcertante, brillante, un opéra contemporain composé d’une suite de tableaux, une immersions dans les affres de l’amour et du désir.

Théâtre total, il met le texte, la musique, mais aussi le chef, la lumière en interaction permanente. Il fallait l’acuité d’Antoine Gindt, metteur en scène reconnu pour ses talents de mélomane, et la justesse de la baguette de Léo Warynski, pour réinventer ce défi vocal et musical. Fantaisiste et engagé, il se joue de la tradition lyrique italienne comme des avant-gardes.

« Nous nous sommes plongés dans cette partition aussi étrange que mystérieuses » nous dit Antoine Gindt. « un mystère développé en une trentaine de numéros, au graphisme délirant et aux possibilités multiples. Ensuite, il faut s’y trouver un chemin, inventer soi-même son interprétation, imaginer comment résoudre ces énigmes. […] Il faut aussi s’interroger sur la manière de mettre en scène cette partition. Car si Bussotti en est le compositeur, il en a été aussi le metteur en scène, le costumier, décorateur et luminariste. Ironie des didascalies, il suggère même que l’auteur est seul à même de monter cette pièce, ce qui n’en fait pas le moindre des paris à relever. »

Raquel Camarinha, dans le rôle de Justine « O » Juliette, Eric Houzelot dans celui de Marquis, Léo Warynski à la direction musicale et les 9 musiciens de l’Ensemble Multilatérale vous attendent aujourd’hui au théâtre de Nîmes pour assister à 20h00 à la réinterprétation de cette œuvre mythique du théâtre musical… n’hésitez pas, il n’y a pas beaucoup de place.

Sources : Site du théâtre de Nîmes / Site de la pièce / Photos – inconnus

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