On n’est point criminel pour faire la peinture des bizarres penchans qu’inspire la nature.

Rédigé à la Bastille du 23 juin au 8 juillet 1787, le récit des « Infortunes de la vertu » est le neuvième d’un ensemble de contes. Les dates de rédaction, scrupuleusement notées en marge ou sur les cahiers, permettent de suivre la progression du texte : aux trois premières pages, écrites le 23 juin, succèdent quarante-huit pages rédigées en cinq jours… puis Sade continue à ce rythme d’une dizaine de pages par jour.

Le manuscrit original des « Infortunes de la vertu » n’a jamais été publié du vivant de Sade. Abondamment corrigé, il superpose plusieurs strates de corrections. Il a néanmoins été reconstitué dans sa version initiale, d’abord par Maurice Heine en 1930, puis en 1969, et enfin en 1995 par Michel Delon pour l’édition de la Pléiade.

Prévu tout d’abord « court » et « sombre », sur le modèle d’un conte philosophique, le texte s’allonge et évolue vers le roman. « En raison du développement progressif des aventures de l’héroïne, qui imposait de continuelles augmentations au texte primitif », écrit Maurice Heine, « Sade prit la décision de considérer son ouvrage comme un roman ».

Sade ne cesse donc d’opérer des ajouts, d’étoffer son récit, de retravailler sa narration. « Justine ou les Malheurs de la vertu » sera finalement publié en 1791 mais sans le nom de son auteur. Quelques années plus tard, une seconde version du roman — en fait la troisième — sortira pour le plus grand bonheur des lecteurs : c’est la fameuse édition aux dix volumes et aux 3600 pages…

Nommée « La Nouvelle Justine ou les Malheurs de la vertu », cette version est imprimée en 1799, à Paris, toujours sans nom d’auteur et d’éditeur, avec la date trompeuse de 1797 et avec la fausse adresse « en Hollande ». Un « Avis de l’éditeur » précise même que : « Le manuscrit original d’un ouvrage qui, tout tronqué, tout défiguré qu’il était, avait néanmoins obtenu plusieurs éditions, entièrement épuisées aujourd’hui, nous nous empressons de le donner au public tel qu’il a été conçu par son auteur, qui l’écrivit en 1788. Un infidèle ami à qui ce manuscrit fut confié pour lors, trompant la bonne-foi et les intentions de cet auteur, qui ne voulait pas que son livre fût imprimé de son vivant, en fit un extrait qui a paru sous le titre simple de Justine ou les Malheurs de la Vertu, misérable extrait bien au-dessous de l’original, et qui fut constamment désavoué par celui dont l’énergique crayon a dessiné la Justine et sa sœur que l’on va voir ici. […] Nous n’hésitons pas à les offrir telles que les enfanta le génie ce cet écrivain à jamais célèbre, ne fût-ce que par cet ouvrage […] »

Marquis de Sade - On n’est point criminel pour faire la peinture des bizarres penchans qu’inspire la nature.

Jean-Jacques Pauvert indique que l’opération de librairie qui consista à publier, en 1799, les dix volumes de « La Nouvelle Justine suivie de l’Histoire de Juliette, sa sœur, Ouvrage orné d’un Frontispice et de cent Sujets gravés avec soin » fut la plus importante entreprise de librairie pornographique clandestine jamais vue dans le monde. Aujourd’hui même, toujours aucun exemple s’en approche !

L’entreprise aura mobilisé les plus connus des libraires, imprimeurs, brocheurs, graveurs de la région parisienne spécialisés à l’époque dans le livre obscène clandestin. Il faut y ajouter les commanditaires, leur présence est certaine. Même groupés, imprimeurs et auteur n’auraient pu faire les frais à l’époque, sans aide, d’une opération aussi gigantesque. I

Il s’agit de mettre en vente plusieurs milliers d’exemplaires d’une collection proposée au public 100 francs en 1801, soit un chiffre d’affaires total de plusieurs centaines de milliers de francs, suivant le tirage, à une époque où  » un ouvrier considéré comme bien payé gagnait 600 francs par an, et vivait correctement ». Les saisies policières feront encore monter les prix : d’après Louis-Marie de Sade, l’un des fils du Marquis, en 1807, les dix volumes se vendaient 300 francs !

Marquis de Sade - On n’est point criminel pour faire la peinture des bizarres penchans qu’inspire la nature.

Colnet du Ravel, libraire et journaliste, fait paraître dans son bulletin « La Revue littéraire de l’an VII » l’information suivante qui se révèle être une dénonciation publicitaire :

« Si vous avez lu Justine, vous croyez sans doute que le cœur le plus dépravé, l’esprit le plus dégradé, l’imagination la plus bizarrement obscène ne peuvent rien inventer qui outrage autant la raison, la pudeur et l’humanité ; détrompez-vous, ce chef d’œuvre de corruption vient d’être surpassé ou plutôt l’auteur vient de se surpasser lui-même, en mettant à jour La Nouvelle Justine, encore plus détestable que la première. Cet auteur infâme, je le connais, mais son nom ne souillera pas ma plume ; je connais aussi le libraire qui s’est chargé de vendre cette dégoûtante production ; qu’il rougisse de s’associer à la honte qui environne un scélérat, dont le nom rappelle ce que le crime a de plus hideux ».

Les dénonciations – non publicitaires cette fois — se multiplient dès la parution de l’ouvrage. Comme pour la « Justine » de 1791, Sade en désavoue farouchement la paternité. Le 9 novembre 1799, le Consulat remplace le Directoire. La police de Fouché s’attaque au marché de la pornographie et va faire preuve, là comme ailleurs, de sa redoutable efficacité. Une première saisie a lieu en août 1800.

Le 6 mars 1801, Sade est arrêté chez son imprimeur Nicolas Massé. Le procès-verbal de la perquisition mentionne « des volumes de La Nouvelle Justine avec des additions et corrections manuscrites de la main de Sade ».

Apportait-il à son imprimeur une nouvelle version de cette œuvre sans cesse récrite ? Aucune idée, on le saura sans doute jamais… par contre, ce que l’on sait, c’est que c’est aujourd’hui, jour où l’on fête les Etheldrede, que Sade commença la rédaction de son chef-d’œuvre. Si vous n’avez pas encore lu cet ouvrage, courez vite l’acheter chez votre libraire préféré, cela fera plaisir aux mânes du Marquis.

Marquis de Sade - On n’est point criminel pour faire la peinture des bizarres penchans qu’inspire la nature.

Détails sur les produits :
Titre : « Sade : Oeuvres, tome 2 »
Editeur : Gallimard (septembre 1995)
Collection : Bibliothèque de la Pléiade
ISBN-10: 2070113515
ISBN-13: 978-2070113514

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Sources : Merci Wiki / « Justine ovvero le disavventure della virtù » – Jesús Franco / « La nouvelle Justine, ou Les malheurs de la vertu » – Gallica | BnF / Photo – Joel Saget

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